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  • Audimat #21

Audimat #21

  • 215 pages
  • 11x17,5cm
  • French
  • 2024
  • Audimat

Techno commerciale
Ed Gillett

C’est assez difficile d’avoir une vision objective de ce qui s’est passé et se passe encore dans la scène dance music et en matière de statut des clubs. Est-ce qu’on se focalise sur les rares fêtes un peu belles et sauvages pendant que tout un réseau de lieux ayant pignon sur rue (à défaut d’être toujours accessibles) s’écroule ? Ou bien est-ce qu’il en a finalement toujours été ainsi — les moments vraiment vivants en club, étant, par définition dans des métropoles hors de prix, des accidents, forcément éphémères, arrachés à un espace toujours déjà normalisé et normatif ?
Face au chaos des perceptions subjectives, un peu d’histoire décentrée ne peut pas nous faire de mal. Nous traduisons ici un extrait d’un chapitre de Party Lines, le livre d’Ed Gillett paru l’année dernière qui traite de la situation au Royaume-Uni.
Ce livre est à la fois enthousiasmant et déprimant. Enthousiasmant parce qu’on y lit enfin une histoire politique de la techno. Ses qualités sont nombreuses : il accorde plusieurs chapitres à tout ce qui a préparé le terrain au mouvement des free parties, sans les romantiser ; il ne s’arrête pas sur une image figée de la techno, uniquement associée aux légendes subculturelles des années 1980-2000 ; il accorde toute l’importance qu’elle mérite à la trajectoire de standardisation de médias comme Kiss Fm, Rinse Fm ou Boiler Room ; enfin, il n’hésite pas à donner les faits et à mentionner les noms de ceux qui ont été délibérément ou inconsciemment complices de ce qui arrive. Party Lines n’en est pas moins une lecture difficile à sa manière. Son style assez analytique peut frustrer ceux d’entre nous qui restons attaché·es à la description sensible des éléments donnant foi en le potentiel libérateur de la musique et des fêtes. Si Gillett lui-même n’échappe pas aux processus qu’il décrit, en ces temps où la critique de la dance music et de ses environnements se fait rare, ses analyses comptent. Il n’est pas le seul, mais on attend encore le même genre de chose pour la France aujourd’hui.


le blues & les Blancs
Elijah Wald
Le blues a parfois un statut un peu particulier en tant que « racines africaines-américaines » d’une ère rock qui commencerait dans les années 1950 avec ses imitateurs blancs à succès comme les Beatles ou les Rolling Stones, et il est, en partie pour cette raison, associé à des idées d’authenticité et de pureté. Si on détricote un peu cette version de l’histoire, les choses deviennent vite plus compliquées, car il existait déjà une petite industrie commerciale/de divertissement autour du blues, que les intermédiaires blancs ont participé très tôt à façonner… Le blues n’a pas tout à fait échappé à l’empreinte des minstrel shows et de la tradition blackface, dans la mesure où à travers lui, la blackness s’est aussi constituée comme marchandise pour un public blanc plutôt érudit et bourgeois. Des décennies plus tard, c’est encore ce que montrent de manière brillante les séries comme Atlanta ou Rap Sh!t : comment pour un·e musicien·ne noir·e mettre en scène « sa culture », au sens de ce qui serait une authenticité d’origine ou de géographie, c’est aussi courir le risque ou choisir de jouer avec l’auto-marchandisation de soi-même pour l’oreille/le regard blanc. Cette histoire du blues peut nous paraître lointaine, mais elle résonne avec la fabrique de la race telle qu’elle opère encore aujourd’hui : non plus seulement à travers la négation ou le déni — qui voudrait que la musique soit « sans couleurs » — mais aussi à travers des formes d’essentialisme, de fétichisme et de primitivisme, de valorisation blanche de l’altérité, qu’on retrouve parfois dans la culture digger. De ce point de vue, Elijah Wald nous invite à penser les effets d’une certaine culture blanche — qui est aussi la sienne — sur la définition de l’ensemble des musiques populaires comme culture et comme industrie.


Le rap des charts
Amy Coddington

Avec son livre How Hip Hop Became Hit Pop, paru l’an dernier chez University of California Press, Amy Coddington apporte un éclairage utile sur ce que nous connaissons avec les débats qui ont opposé « rap de ienclits » et « vrai rap » en France. Sa démarche est simple : regarder les charts, les discours des programmateurs et les positionnements des rappeur·euses, depuis les débuts de la diffusion du rap sur les radios états-uniennes. À la lire, on a l’impression de voir s’inventer en temps réel des repères dont il est aujourd’hui devenu difficile de se défaire. Elle propose ainsi une généalogie du passage : le passage du rap des radios régionales et spécialisées au pseudo-consensus du top 40, et le rapport ambivalent à la popularité qui l’accompagne immanquablement.
Ce qu’il y a de bien avec une approche aussi systématique, c’est qu’elle peut bousculer un peu tous les camps dans leurs idées reçues sur ce que le rap a été et sur ce qu’il devrait être, sans conduire pour autant vers une position tiède du « juste milieu ». Son récit fait apparaître autant le cynisme flagrant de l’industrie, et ses formes d’appropriation culturelle décomplexée, que la construction d’un rap « hardcore » par réaction, de manière moins spontanée qu’on aurait pu le croire. Elle donne à voir les visées pop du rap dès le début des années 1980, selon un élan qui semble à peu près « organique » chez certains (LL Cool J et Jazzy Jeff), mais aussi, à l’inverse, l’influence de programmateurs qui, très vite, ne valorisent plus le rap qu’à partir de leurs propres objectifs commerciaux.


Tout son est queer
Drew Daniel


Dans cet article, Drew Daniel apporte une critique de la catégorisation et des normes et y règle ses comptes avec des questions peut-être plus existentielles. Le texte est un peu all over the place, mais de façon assez généreuse et provocatrice : c’est à la fois un essai sur la façon dont l’idéologie fonctionne à travers la musique, une critique des politiques de l’identité et de la diversité, une esquisse de manifeste métaphysique sur l’écoute et le son… avec, au passage, des pistes d’analyse particulièrement séduisantes sur les rapports entre musique, travail et sexualité. Cet article condense et répond aussi implicitement à des positions qui agitent la pensée politique queer dans son ensemble, entre volonté d’affirmation collective et fuite de toute identification, en allant jusqu’à inclure les réflexions de la philosophe de l’écologie Jane Bennett, qui essaie d’étendre la pensée du vivant à toutes les entités matérielles de l’univers. Quand Drew Daniel invite ses lecteurices à suspendre leur rapport à l’identité au profit des vertiges d’une écoute queer qui chérit l’étrange, cette étrangeté ressemble plus volontiers à une expérience existentielle — une sorte de désorientation — qu’à celle d’une oppression. Sa critique n’en dégage pas moins une certaine énergie perverse, comme un désir d’augmenter le trouble.

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